Aime à nu elle
La sombre Emmanuelle
De jour en jour devenait
Plus nuit que la nuit
Toujours lunaire je la voyais
Dans sa belle robe dorée
En ces mondes souterrains
Où souvent l’on s’éternise avant de disparaître
Mais elle vivait solitaire dans les rêveries
De la haute mer celle qui me hante
Quand vient l’aube crépusculaire
Qu’on l’imagine comme le démon
Dont se repaissent les ciels vengeurs
Qu’on la craigne pour ses mots étranges
Tout alentour s’imprègne de son aura
Sa lumière fauve règne sensuelle
Son regard saigne d’un bleu si beau
Mais sans désir mais si cruel
Se voile d’une froide mélancolie
Et c’est ici sur son sein de nacre
Que meure en moi l’ennui
S’ouvre sur un air de tempête
L’amour du très mystique
S’accorde à ces violets déferlant
Sur la côte les vieux navires
S’élèvent aux vents violents
Et font une musique sacrée
Au loin il y a la trace d’un rayon pâle
Horizon devant lequel je m’émerveille
Alors elle joue de sa voix de lyre
Sans atteindre ni l’océan ni le cosmos
Et sa rumeur lourde d’orage
Autrefois elle n’avait à ses pieds
Que cent amants et des fleurs de soie
Taches cramoisies offertes au supplice
De ces fantasmes crachant la sève et le vice
Elle possédait six bras immensément noirs
Et l’anarchie dans ce cœur
Haut et clair ce cœur encore
Tant aimé qu’il s’est mêlé
À mon encre et je sais maintenant
L’intense mouvement de vie spectrale
Le vacarme des nuages dans la tête
Béante sous ma lampe rubescente
Je suis la proie du silence qui me glace
Et me souviens lorsque ses ténèbres
Avec violence m’enlaçaient
Ainsi qu’un sexe fantastique
Un rideau lourd et sinistre
Me pénétrait et je tremblais
De n’être qu’un nain
Entre ses mains
*
* *
Louis Forges
(1971-2072)