La mort du Septentrion
Emergeant de la tombe céleste,
Imprévisible, irrésistible et dérisoire,
L’appel du Dieu fauve, rampant
Hors de son miroir, qui résonne,
Sous le firmament à peine dévoilé
Qui résonne, en ce royaume vernal
La lèvre emplie d’une puissante nostalgie
Tandis que sous l'œil triste du fanal
L’azur sombre, épave mystique
Le sinistre océan, mauve et sidéral
S’éveille aux murmures d’un luth blessé
Et l’horizon, qui roule un soleil de fer
Un soleil ivre, tout hérissé d’éclairs,
Qui tremble, qui brasille, qui fulmine
Aux reflux glacés des nuées marines
Et le flot rougeâtre qui disparaît dans l’âtre
Et les lointains empyrées, savamment déployés
Ces temples nus comme des montagnes de verre
Ont fait naître en moi du passé le goût âcre
De Profondis des heures profondes, térébrante œuvre dard
Une nuit d’équinoxe, attiré par des brumes solitaires,
Notre capitaine, marin honorable mais hélas suicidaire
Voulant nous soulager de nos peines, s’épris de la barre
Et nous voguâmes, de golfe en archipel en îles fumeuses
Notre homme tempêtait contre les marées, vociférait
Contre les vents, postillonnait comme un nocher,
Toute honte bue, hululant à la lune bleue de rage
Le diable sait quelle complainte amoureuse
Et cette bouteille qui ne le quittait plus, elle avait un visage,
Je le jure, cette maudite bouteille blonde, capricieuse,
Belle enjôleuse plus cruelle qu’une flamme volage,
L’arrogante jetait force œillades à l’imbriaque dépressif,
Lequel, croyant voir en son cul vert un spectacle de chimères
Et conquis par ce divertissement royal, ô combien éphémère,
Royalement, nous précipita contre d’ineffables récifs
Des lames acérées comme des poignards
Pesamment agitent les ternes brisants
Des larmes grises emplissent l’air du soir
Saturé des cernes de l’orage gémissant,
Voilà l’heure du naufrage, prodigieuse délivrance,
Résurrection fatale, sortilège, renaissance
Le Septentrion, amarré sous un ciel de crypte
Avec l’Isis radieuse comme dernière compagne,
Souvenir de nos troubles errances en mer d’Egypte,
Vomit ses flamboyants trésors de feu l’Espagne
Notre vaisseau se penche sur le gouffre
Sa proue, hier Apollon rugissant et difforme,
Tourne, se prend des airs de Pierrot lunaire
L’œil fou béant sur l’abîme millénaire
Ce frêle mât de misère tout tordu s’inclinant
Sans fin, et cette voilure déchirée qui flotte
En apesanteur, telle un étendard sanglant,
Disent l’horreur profuse, considérable
Or limpide sous l’or glauque des abysses
Hors des limites, hors du monde, insondable
A présent que le calme règne à la surface
La côte semble si pâle sous les nuages salicornes
Au creux des rochers, une harpe fait des bulles
Entre les algues brunes, d’orgueilleuses licornes
Dansent ; on s’accouple, on joue les funambules
Des lamproies s’allument, des loupiotes s’enlacent
Les oiseaux sous-marins par myriades accourent
Et s’amourachent en écumant de râles sourds
Végétaux délirants, étincelant dans les ténèbres,
Quand le jour se voit, plus mort qu’une vertèbre
Les eaux promènent leur morne opalescence
Entre d’herbeuses pourritures en lactescence,
Où la raie noire est une veuve spectrale,
Le cyclope un mur de symboles vivants,
Et le sacre des espadons, exécuté brillamment,
Un ailleurs rayonnant sous le sceau de Neptune
Alors ces âmes closes qui figurent l’ultime douleur
Ces âmes prisonnières dont quelquefois
Sur le flot, on distingue la sinistre lueur
Elles qui hier ciselaient de longs soupirs
S’animent et peuplent sa coque meurtrie
Accoudées aux fenêtres, dans leurs rêveries,
Elles m’adressent d’équivoques sourires,
Et moi, alangui sur le sofa d’un salon monarchique
Au beau milieu duquel trône un aquarium antique
Dans cette pénombre qui sied aux esprits indolents
Je prends la pose lascive de l’odalisque peinte
Devant moi, s’étreignent la muse et l’atlante insolents
Et moi seul, inextricablement seul, d’ambre ruisselant,
Je jouis du naufrage de l'impossible étreinte
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